Au fil des époques les façons de penser la pensée changent. Nous connaissons la plus récente centrée sur l’inconscient. Il en existe d’autres, celle exposée ici est centrée sur la conscience, à un endroit où connaissance et conscience sont synonymes. Il s’agit de non-dualité, cette philosophie réunit l’observé et l’observateur, la conscience et la pensée. La non-dualité se trouve dans différentes cultures, celle de l’Inde a gardé la trace de ce qu’en pensaient et disaient les chercheurs il y a très longtemps. Ces chercheurs interrogeaient le sens du corps, de la vie, de la terre et du cosmos, du bonheur et la douleur. Le texte qui sert de guide ici est la Tattiriya Upanishad, il été écrit il y a 2600 ans.
Aujourd’hui, nous attribuons nos douleurs à des causes, les autres, les objets, des déficiences, des hormones, la politique ou la météo. On veut que ça change, on cherche des solutions ou des médicaments. Nos ancêtres nous répondent : le bonheur existe d’abord. Ils nous invitent à prendre conscience de la conscience, une conscience permanente. Ils décrivent une organisation d’un « corps subtil » fait d’enveloppes (Koshas).
Ce « corps subtil » n’est pas un autre corps de rêve ! Il s’agit du corps qui perçoit, qui agit et qui pense. C’est le corps physique et le corps en mouvement, le corps qui fait face à la faim, le froid ou la douleur. C’est aussi le corps en relation avec les autres, le corps social, et encore le corps sensible aux espaces, aux sons, aux couleurs… Ce « corps subtil » recouvre ce que nous appelons habituellement « moi » ou « je », « égo », la « personnalité ».
Le « corps subtil » est fait d’enveloppes, ou de gaines, elles sont au nombre de cinq. Elles distinguent la matière, l’énergie, l’action d’où nait le mental, la perception où nait l’intelligence, la félicité ou la joie, nature première de la vie. A chaque niveau les pensées sont conditionnées. La Conscience est à tous les niveaux, non conditionnée.
Ces gaines sont comparables à celles qui entourent la graine de l’arbre, contenue dans le fruit, contenue dans la fleur, entourée des branches, des feuilles, des racines, de la terre, de l’eau, du soleil et de l’espace, qui donnera un arbre ! On peut les différentier et elles sont indissociables.
La première gaine est faite de matière inerte
La pensée sort de la matière. La pensée est dans des molécules d’oxygène, de carbone, de fer, d’iode, des éléments de l’univers. La pensée est matière recyclée, fermentation de la boue, de levures et de bactéries, du végétal à l’animal. La pensée ne peut s’échapper des impératifs des sécrétions est des excrétions.
Une matière dense et sensible aux pressions, la pression des autres, la pression d’hier et de demain ; pressions organiques de la faim, de la soif et de la reproduction ; des pressions profondes et intenses. Des pressions qui écrasent, ou risquent d’écraser, appellent des réactions, des contre-pressions.
Le vide est aussi de la matière. L’espace, ou éther, est à l’origine de la matière et domine la matière.
La pensée est énergie,
La pensée se fait entre la matière et l’énergie, au plus profond des cellules, quand une molécule de sucre se défait en libérant de l’énergie. Energie venue du soleil, condensée dans un grain de blé ou de pomme où se transforment en sucre quelques molécules d’eau et de carbone. Les minéraux de l’univers sont des vecteurs d’énergie, condensateurs ou catalyseurs, fer, sodium, cobalt, cuivre, sélénium… La pensée est de l’énergie en action dans des milliards de cellules.
Ici, apparaissent temps et espace. Matière et énergie se consomment, se consument, varient avec les saisons, elles sont des marqueurs du temps.
La relation au temps et à l’espace, accessible à la pensée, concerne seulement cette couche de pensée rythmée par les montées et descentes des niveaux de matière et d’énergie.
Notre temps psychique est bref, nous nous souvenons à peine de ce qui s’est passé hier, et de quelques événements importants. La pensée est soit construite à partir de la mémoire, à partir d’éléments connus (retenus) ou imaginés, soit une construction de l’instant, dans « maintenant ».
La pensée est dans deux niveaux, l’un conditionné et subjectif : la mémoire, l’autre objectif et insaisissable : le présent.
L’énergie existe avant la matière. L’univers est fait de distances, d’énergies et de particules impensables. Les temps accessibles au corps sont ceux du jour et de la nuit, celui du sablier ou de la goutte d’eau. Les distances sont celle d’un pied, d’un pas ou la longueur d’un pouce.
Le souffle est énergie,
La manifestation la plus concrète et intime des énergies de l’univers se trouve dans le souffle. Non de respirer fort pour grimper un escalier, mais dans ce souffle qui donne la vie. La respiration comme résultat des mouvements des énergies. La succession de l’inspiration, pause à plein, de l’expiration et de la pause à vide, sont comme le moulin entrainé par un courant, une pale monte, parcours le sommet, descend, parcours la base, remonte… Le corps respire l’énergie de l’univers.
Le souffle, reflet de vie, reflet de pensée, reflet de la personne. Le souffle est écoute. Le souffle peut être modulé, rythmé, orienté…
L’air comme milieu dans lequel nous baignons, chargé de parfums et de messages. Le souffle contient cette connaissance de l’espace, ce que l’on appelle l’inspiration. La pensée navigue dans ces espaces.
Le souffle a une direction, comme le vent d’Orient ou d’Occident, comme le mouvement apparent du soleil. Parfois la pensée pense se perdre, aléas de la vie psychique et de ses cortèges de tensions. Le souffle, est un moyen de suivre la pensée et de l’orienter.
Le souffle habite dans les cinq enveloppes, il est porteur de connaissance et de conscience.
L’action est mentale,
Les organes d’action font apparaître le mental. Le mental est soumis aux pressions, celles du corps et celles de l’environnement. Le chaud, le froid, le jour, la nuit, les besoins de manger et de boire, les besoins de protections obligent à penser des actions. Le mental s’occupe des actions conditionnées et stéréotypées, trouver de la nourriture et se reposer, trouver les moyens d’acquérir de la nourriture et du confort…
Le mental nait avec l’individu et se prolonge dans le groupe, dans le corps familial et le corps social. Pour lui et sa tribu, le mental projette et planifie, doit envisager demain, puis l’hiver, prévoir de nourrir et de protéger. C’est le mental qui exprime : « C’est moi » et « C’est le mien ». Ma proie, mon arbre, ma grotte, ma femme, mon enfant, ma famille, ma tribu…
Il établie des distinctions et il nomme : favorable ou toxique, opportun ou néfaste… Le mental et les énergies vitales sont liés, l’un habite l’autre. Le mental n’est pas propre à l’homme, il se partage avec les végétaux, les insectes et les animaux. Les plantes étendent leur racine et leur feuillage, se contraignent entre elles, imposent des écosystèmes. Les insectes ont des vies sociales complexes. Les animaux chassent et se protègent, seuls, en famille ou en groupe.
La sensibilité est intelligence,
Des organes des sens nait l’intelligence. A travers les perceptions l’univers apparaît. Ce que nous sommes est en continuité avec l’univers. Les sens sont ouverts au fini et à l’infini. L’intelligence est une pression immense de la nature, de ce qu’elle fait d’inouï.
La perception existe dans l’instant, à ce niveau, le temps n’existe pas. Dans ce présent rien ne peut être attrapé, retenu ni tenu. L’intelligence s’oppose au mental.
Les organes de perception sont une expression de la nature : la capacité de voir, de distinguer des couleurs, la capacité d’entendre et de situer l’espace… Portées par ces pressions, apparaissent le sens du beau, du juste, de l’équilibre.
Les organes de perception sont aux limites du corps et délimitent le corps. La proximité avec l’enveloppe de la félicité crée l’égo. L’enveloppe de l’intelligence est perméable à l’enveloppe suivante, l’enveloppe de la félicité. L’intelligence s’attribue les causes de la joie.
L’intelligence et le mental se mélangent et se confondent souvent. « Moi » s’attribue l’intelligence. « Moi » s’attribue les perceptions, qui ne sont que la mémoire des perceptions. « Moi » fabrique des schémas et des stratégies.
Le bonheur primordial,
Le bonheur de penser ! Le bonheur existe avant la pensée. La félicité, la joie, l’amour, le bonheur, sont de même nature, ils sont de la Nature.
Le bonheur de manger quand la faim est là, de boire quand est la soif, de se reposer quand est la fatigue.
Le bonheur de rencontrer l’autre,
Le bonheur de cette énergie inouïe que l’on nomme l’amour,
La félicité est le seul mobile de ce qui existe,
La félicité nait de l’énergie créatrice,
L’énergie créatrice est félicitée.
Ceux qui ne connaissent pas les enveloppes par lesquelles ils existent, pensent rencontrer le bonheur à travers les objets ou les personnes. Ils identifient l’amour à la personne. La personne est le révélateur de l’amour et non la cause. Comme l’écran est le révélateur du film projeté, ce n’est pas la personne qui est aimée mais un objet. Cet amour s’use comme s’usent les objets. Lorsque la personne change de trajectoire cet amour s’arrête. C’est une relation entre des écrans. Le bonheur est perverti par la possession, par la peur de perdre, la jalousie est exactement l’inverse de la félicité.
Conscience,
Les cinq enveloppes apparaissent à la Conscience.
La Conscience ne doit sa lumière qu’à Elle seule — Distincte des cinq enveloppes —
La Conscience est le témoin des trois états (éveil, rêve, sommeil profond) — l’unique Réalité
Rêve et éveil sont des états illusoires.
La Conscience passe à travers les états de veille de rêve et de sommeil profond.
Nous nous réveillons à travers nos perceptions, relatives, et à travers notre mémoire : « Je suis…, Je dois ».
Le rêve est un état intermédiaire, entre le sommeil profond et l’éveil.
Le rêve est une sorte de fenêtre, pour celui qui se réveille !
« C’est de la Conscience qu’est réellement sorti l’éther; de l’éther qu’est sorti l’air; de l’air qu’est sorti le feu; du feu les eaux; des eaux la terre; de la terre les plantes; des plantes la nourriture; de la nourriture la semence; de la semence l’homme, car l’homme est vraiment l’essence de la nourriture. » Et c’est pourquoi il est dit: « Cette tête, ma tête est sa tête; ceci est son bras droit; ceci est son bras gauche; ceci est son corps; ceci est sa base. » Tattiriya Upanishad